+ it's a revolution, i suppose

« C’est une manie chez vous les filles non ? » Esha me regarde comme si je venais de dire la chose la plus insensée du monde. Elle se plante devant moi, les mains sur les hanches et soupire longuement. D’accord. Cela veut dire qu’il va falloir que je sois un peu plus clair sinon elle va se mettre à râler dans quelques minutes et je vais en avoir pour mon grade. Je lui offre un petit sourire et hausse des épaules. « Cora m’as demandé de choisir entre elle et toi. C’est la troisième en moins d’un an… Donc c’est une manie ! » Il n’y a même pas une heure, ma petite amie actuelle, m’as demandé de choisir entre elle et ma meilleure amie. C’est quelque chose de courant, à force j’ai l’habitude, mais je commence un peu à en avoir marre. Comme si je pouvais réellement choisir entre une fille que je connais depuis quelques mois et Esha qui est ma meilleure amie depuis la fin du Lycée. La question ne se pose même pas. Je ferais toujours le même choix je le sais. « Elle a pas dû apprécier de me voir débarquer pendant que vous étiez en train de faire… Enfin… Tu vois. Mon dieu je vais encore en faire des cauchemars. » Esha possède le double des clés de mon appartement et ce soir là elle avait débarqué à l’improviste comme bien souvent, sauf que cette fois j’étais un peu occupé avec ma copine. Elle nous avait surpris sur le canapé et Cora avait finis par me faire une crise de nerf monumentale d’où était sorti cet ultimatum. « Oh ça va, fait pas ta sainte nitouche non plus. » La jeune femme me donne un coup dans les côtes et on va s’étaler dans l’herbe en face de la caserne comme souvent durant notre pause déjeuner. J’ai réussi mon concours il y a quelques mois et depuis je suis assez fier de pouvoir dire que je suis officiellement un pompier. On avale rapidement notre déjeuner et comme souvent Esha finis par venir se blottir dans mes bras pour un câlin avant de retourner au boulot. C’est une tradition et pour rien au monde je ne voudrais changer cela. Je l’aime bien trop.

« Kessler il fait trop chaud là-dedans il faut que vous sortiez et vite ! » J’entends à peine la voix de mon Chef dans le talkie-walkie attacher à ma veste. Ici c’est une véritable fournaise. Un vieux bâtiment a pris feu dans le centre-ville et nous avons tous été dépêché sur les lieux. Cela faisait longtemps que nous n’avions pas vu un tel feu. Un témoin nous a dit avoir vu une personne coincer par les flammes au deuxième étage, mais nous ne trouvons absolument rien. Je commence à avoir de plus en plus chaud et le bâtiment est littéralement en train de s’écrouler au-dessus de nos têtes. Je fais signe à mon collègue de faire demi-tour. Je commence à prendre les escaliers et d’un seul coup c’est le trou noir. Je ne me souviens absolument de rien a part m’être réveiller allonger sur le trottoir à l’extérieur. Une douleur lancinante à l’épaule me laisse clouer sur le sol. On me conduit à l’hôpital et on prévient Esha. Elle débarque trente minutes plus tard complètement affolée. « P*tain Thayer tu me fais plus jamais un coup comme ça. Je t’avais dit que c’était dangereux d’être pompier, t’as encore voulu jouer au héros ! » Elle a passé le reste de la nuit à mon chevet. Le lendemain le médecin est passé me voir, il n’avait pas de nouvelle pour moi. En chutant dans les escaliers je me suis démis l’épaule et le nerf est désormais coincé d’où la douleur. Il me prescrit du repos et des antidouleurs. A l’époque, je ne savais pas encore, mais j’allais très vite devenir accroc à ces médicaments… En attendant, je n’ai pas pu retourner à la caserne pendant plus de deux semaines. Je restais enfermer chez moi à serrer la mâchoire en me disant que la douleur allait finir par partir un jour où l’autre. Seule Esha pouvait venir me voir pour me demander me bouger un peu. Mon métier c’est ma vie, je ne peux pas rester sans rien faire pendant plusieurs jours.

J’ai finis par reprendre le travail. On m’a demandé de faire attention durant les interventions, mais j’ai repris comme avant parce que je n’avais plus mal. J’ai continué à prendre mes antidouleurs. C’est devenu un geste automatique. Je me lève, je prends ma douche et j’avale un cachet avec ma tasse de café. J’ai besoin de cela pour tenir le coup. Je n’y fais même plus attention. J’en prends encore c’est tout. Ce que je n’avais pas prévu, c’était la réaction d’Esha. Il est tard ce soir-là lorsque je rentre de mon tour de garde. Ma meilleure amie est déjà dans mon appartement à m’attendre, ma boîte de médicaments entre les mains. Il ne lui faudra que quelques secondes pour qu’elle me fasse par de ses pensées. Mais également pour que la sentence tombe. « Mais aujourd'hui je peux plus Thayer. Je m'en vais. » Cela fait quatre mois et pourtant je me souviens encore de la douleur que j’ai pu ressentir en l’entendant prononcer ces quelques mots. Elle a voulu m’abandonner. Elle m’a abandonné d’ailleurs. Pourtant j’ai essayé de la retenir. J’ai tout fait pour. Mais pour elle je n’étais plus le Thayer qu’elle avait connue et elle voulait que je change. « Je gère Esha. Tout va bien, il y a rien de grave. Ne pars pas s’il te plaît. » Je me souviens encore parfaitement de ce moment. Elle m’a regardé dans les yeux et elle m’a tourné le dos. Elle est partie sans un mot de plus… Elle est juste partie.

Après cela j’ai commencé à sombrer doucement. J’avais encore mal à l’épaule, mais je passais quand même tout mon temps à la caserne. Je ne rentrais même plus chez moi. Je dormais sur mon lieu de travail. Je dépassais les heures autorisées pour les gardes. Je me suis littéralement noyé dans mon travail et dans les cachets… Je n’arrive pas à arrêter. Je me dis que sans cela, je ne pourrais pas continuer, que j’aurais de nouveau mal. Surtout j’ai besoin d’Esha à mes côtés. Elle me manque. Cela fait un mois que je ne l’ai pas vu et je n’arrête pas de penser à elle. Je devrais ravaler ma fierté et l’appeler, mais je n’y arrive pas. Après tout c’est elle qui a décidé de partir… Et puis je me dis que ce n’est peut être pas si mauvais d’être un peu éloigné. Elle a un copain maintenant de toute manière. C’est pour cela que j’ai tant de mal à la rappeler. Parce que je suis jaloux de cet homme et que tout cela est littéralement en train de me bouffer de l’intérieur…